dix pétales de roses ▬ L'enfant courait à travers les bois, riante des cris amusés des parents qu'elle laissait derrière elle. Pressée de rentrer dans leur demeure, elle ne manquait cependant pas de faire attention au contenu du panier tressé qu'elle tenait en main, vestige d'une cueillette acharnée se balançant dangereusement au rythme de sa course effrénée. Voltigeant au dessus des racines traîtresses avec l'agilité d'une nymphe, connaisseuse assidue des bois verdoyants, elle parvint avant ses géniteurs à la solide et sécurisante maisonnée. Déposant avec désinvolture son butin sur le pas de la porte, elle pénétra à l'intérieur en fredonnant un air appris de sa mère. «
L'impatience ne sert jamais qu'à retarder ce qu'elle veut avancer, fille. » Tatia se retourna vers son père qui venait d'arriver en la sermonnant avec une moue fâchée dont l'exagération lui ôtait toute crédibilité et un sourire candide étira ses lèvres alors que le rire de sa mère résonna avec limpidité dans l'atmosphère détendue. La plupart des discours de son père ne trouvaient pas de sens à ses yeux d'enfants, trop complexes pour sa réflexion qui s'affinerait avec l'âge. Haussant les épaules avec un détachement feint, elle s'approcha de son paternel pour appuyer son index victorieux sur son buste, minuscule poupée de cire face au géant musclé qu'il était, figure rassurante et protectrice qui ne manquait pas de la taquiner à la moindre occasion. «
Tu dis cela simplement par jalousie. Je suis arrivée avant toi, impatience ou pas. » Le père prit une expression offusquée, puis leva les mains en signe de reddition face à sa malicieuse fille. Fruit d'un amour qui s'était concrétisé lors d'une nuit d'automne, elle était la prunelle de leur yeux depuis qu'elle était venue au monde, présent attendu du destin qui leur avait été favorable. L'angélique était parfaite à leurs yeux, et bien qu'ils eussent du mal à l'empêcher d'être un brun effrontée, elle maîtrisait parfaitement les bonnes manières qu'ils lui avaient inculqué dès son plus jeune âge. Conscients de ne rien pouvoir refuser à ces magnifiques yeux chocolats et à ce visage poupin qu'ils embrassaient trop souvent, ils firent leur possible pour qu'elle ne deviennent pas l'une de ces femmes capricieuses dont le caractère est bien intolérable pour cette famille vertueuse. Père, mère et fille unis par des liens forts, ils étaient exemplaires aux yeux des voisins et, pour cause, rien ne semblait pouvoir troubler leur idyllique bonheur.
quinze pétales de roses ▬ Si en grandissant, sa complicité avec ses parents ne cessait de grandir au milieu de rires, de dissensions et de réconciliations, un danger vint insinuer une inquiétude malvenue dans leur quotidien ensoleillé. Les habitants de leur village et eux-même firent une bien triste découverte ; ils avaient pour voisins d'étranges créatures, mi-hommes mi-loups dont les légendes fantasques avaient alimenté bien des récits de conteurs jusqu'à ce que la réalité mordante ne leur montre une vérité effrayante. Si Tatia, intriguée par ce fantastique inconnu, découvrait un monde dont elle n'avait jusque là soupçonné la présence, elle restait tout de même tremblante à l'idée que l'un d'entre eux puisse se glisser dans son dos pour lui arracher la gorge à coups de crocs. Une peur naissante, grandissante dans les cœurs de tous les habitants du village, la réveillait la nuit, la poussait à tendre l'oreille pour ne serait-ce que deviner un hurlement sinistre et annonciateur de mort. L'existence de ces monstres compromettaient la survie de leur communauté mais fort heureusement, ils ne se transformaient que pendant les nuits de pleine lune. Si cette nouvelle était source de crainte, le pire pour la jeune Tatia était qu'on lui interdise l'entrée de la forêt, devenue maintenant bien trop dangereuse pour tout être humain. Contrariée de voir le droit de se promener librement dans son lieu préféré lui être retiré, elle fut de caractère ombrageux pendant quelques jours. Cependant, sa déception s'évapora bien vite devant l'amusement que lui procurait les danses le soir, autour d'un grand brasier, en compagnie d'amis. Sa mère faisait du mieux qu'elle pouvait pour occuper ses journées, bien qu'elle ne puisse rien faire contre l'impatience obstinée qu'avait sa fille à retourner à ces plaisantes fêtes.
seize pétales de roses ▬ Devenue une jeune femme splendide à la beauté éclose, vint impitoyablement le temps on s'intéressa à la marier, à la voir aux côtés d'un homme auquel elle serait liée jusqu'à sa mort. Malgré son indomptable refus de se voir contrainte, enchaînée à un mari, un homme riche et d'âge plus avancé que le sien lui fut présenté. Si de prime abord il s'avérait charmeur et poli, d'une bienséance rare, il se révéla bien plus ténébreux une fois lié à celle qu'il convoitait. Le premier soir qu'ils passèrent ensemble fut éloquent quant aux enfers dans lesquels baignait cet homme. Il s'approcha d'elle avec avidité avant de lui déchirer ses vêtements avec violence. Ses protestations et griffures ne lui apportèrent que des coups brutaux et des hématomes, ne l'empêchant pas de la violer avec sauvagerie à plusieurs reprises. Ce ne fut qu'après une longue semaine cloîtrée entre les quatre murs de la demeure de son mari, obligée d'assouvir ses désirs les plus sombres, de répondre à ses envies de luxure, qu'elle parvint à s'enfuir. Meurtrie et blessée, elle arriva chez ses parents qui reconnurent leur erreurs dans les larmes salines qu'ils versèrent pour l'état de leur chère enfant. S'ils n'entendirent plus jamais parler du scélérat qui était parti vers d'autres horizons, le ventre qui commençait à s'arrondir de la jeune femme ne laissait planer aucun doute sur la suite des évènements. Elle attendait un enfant d'un acte non consenti, et cela ternirait leur image si jamais cela venait à s'apprendre. La honte s’abattrait alors sur la famille qui serait victime du mépris de tous. La seule solution qui s'imposa à eux fut d'attendre l'accouchement en enfermant leur fille dans leur demeure, fermée aux regards du village. Si les mois passés à être coupée du monde furent les plus durs de son existence, le plus douloureux fut de voir sa progéniture lui être retirée à peine née. Elle n'en voulu à ses parents qu'aux premiers instants, comprenant que c'était également son propre bien qui avait été en jeu, son avenir. Elle balaya définitivement son enfant de son esprit, décidée à reprendre sa vie en main.
dix-huit pétales de roses ▬ Ce fut cette rencontre qui changea sa vie. Comment aurait-elle pu prévoir qu'en s'attachant à ces deux hommes elle signerait son arrêt de mort ? Elijah et Niklaus Mikaelson étaient deux habitants du village voisin au sien, dont elle fit la connaissance à l'une des nombreuses fêtes auxquelles elle participait. Charmés par l'ensorcelante, ils commencèrent à lui faire la cour, alors qu'elle-même se rendait de plus en plus souvent à Mystic Falls pour les revoir. Les deux frères étaient différents, et tout aussi séduisants l'un que l'autre. Niklaus était beaucoup plus entreprenant, charmeur et sûr de lui tandis qu'Elijah était tout en douceur et en compliments. Être la source de chamailleries entre eux l'avait toujours incommodée, d'autant qu'être responsable de l'étiolement de leur complicité fraternelle. Mais faire un choix s'avérait plus difficile que prévu, chacun déclenchant en elle des sentiments bien différents ; l'un une passion enflammée qui la faisait se sentir plus vivante, l'autre un amour sincère et romantique digne d'un conte. Jamais décision ne fut plus difficile à prendre pour Tatia.
En quête de liberté et d'émancipation, Tatia se serait sûrement tournée vers Klaus qui était à même de lui offrir une vie palpitante et audacieuse et pourtant, ce fut vers Elijah qu'elle se tourna. Parce que plus qu'une relation ardente elle désirait une relation stable et sécurisante, où elle ne revivrait pas le cauchemar de ses seize ans. Et Klaus était trop instable pour lui offrir la vie qu'elle désirait. C'était du moins ce qu'elle pensait, avant de se faire le jouet d'un destin malveillant. Elle avoua donc ses sentiments à Elijah, juste avant de sentir ses douces lèvres étreindre les siennes dans un délicieux baiser, plus velouté que celui passionné qu'elle avait échangé avec Klaus et tout autant délectable. L'idylle qu'elle s'imaginait ne vit pas le jour, terminée avant même d'avoir commencé, laissant derrière l'esquisse amère d'un mariage qui aurait pu être le début d'un nouveau bonheur.
dix-neuf pétales de roses ▬ Ce n'était pas sensé arriver, et rien n'aurait pu prévoir un tel désastre. Alors que ses pas la conduisirent à une clairière dont l'accès lui était interdit depuis que la lumière fut faite sur l'existence des loups-garous, elle vit Elijah. Son visage ensanglanté était digne de ses plus grands cauchemars. Blessée par quelques épines qui s'étaient trouvées sur son chemin, l'hémoglobine qui glissait de sa paume ouverte eut un effet effroyable sur son bien-aimé. Ses traits se muèrent et ses iris se voilèrent d'écarlate. Si Tatia tenta de prendre la fuite, ce fut inutile face à l'incroyable vitesse d'Elijah qui planta ses crocs dans sa gorge. Ramenée à Esther par son fils, son sang serait utilisé pour endormir le côté loup-garou de Klaus. Tenant la jolie brune pour coupable des disputes qui agitaient ses fils, elle avait jugé nécessaire de lui ôter la vie afin de mettre un terme à ces éclats de voix. L'injustice d'un tel châtiment frappa l'innocente de plein fouet alors que son sang s'écoulait indépendamment de sa volonté, expirant une vie qu'elle aurait tant aimé continuer. Ses dernières pensées allèrent à sa famille qui serait anéantie par un tel fardeau et aux deux frères qui avaient partagé une place de choix dans son cœur qui venait définitivement de cesser de battre.
Milles ans qui passent et trépassent alors que la sacrifiée est perdue dans le néant d'une mort affligeante. Errante d'un endroit inconnu, prostrée dans une incompréhension étrange. Le temps s'écoule, rapide, indolore, devant ses paupières closes. Enfermée dans ce qu'elle pensait être une éternité de rêves cauchemardesques, on la tire d'un sommeil meurtrier. Les souvenirs et la mémoire qui s'étiolent, s'entremêlent dans une confusion temporelle. Un rêve éveillé, un entre-deux dans lequel elle s'est engouffrée, endormie. Et tout s'est effondré. L'autre côté se mourait. Et ce déchirement dimensionnel la réveilla. Le miracle fut de s'être retrouvée près de cette sorcière dont les morts se rapprochaient inexorablement dans l'attente d'une deuxième chance. Elle aussi en avait le droit, non ? On l'avait privée de sa vie alors qu'elle était encore dans la fleur de l'âge, impatiente de vivre une vie aventureuse. Incertaine, elle suivit le mouvement et sa peau entra en contact avec celle de l'inconnue, la propulsant dans un monde qui serait bien loin de celui qu'elle avait brutalement quitté milles années plus tôt. Propulsée à l'endroit de sa mort, dans des habits indignes de cette époque, elle sentit avec étonnement, et pour la première fois depuis bien longtemps, le souffle du vent sur son derme dénudé.